Cancer : le surdiagnostic en questions

Auteur : Claudine Proust

Source: leparisien.fr

Date : 02 Sept. 2016

En France, des milliers de patients atteints d’un cancer de la thyroïde ont été opérés et soumis à des traitements sévères sans que la gravité de leur cas le justifie.

La vague mondiale de surdiagnostic du cancer de la thyroïde a aussi touché la France. Le phénomène en trois questions.

Est-ce un effet pervers du dépistage ? « Tout a commencé dans les années 1980 avec les échographies à disposition », analyse le professeur Schlumberger.

« On s’est mis à en faire à tout bout de champ même, quand à la palpation, la thyroïde paraissait normale. »

Le nombre de petits nodules ainsi repérés a augmenté. Or, seuls « environ 5 % des nodules thyroïdiens sont des cancers », précise l’endocrinologue. « Puis on s’est mis à faire des cytoponctions pour préciser la nature d’anomalies de plus en plus petites. On est ainsi allés chercher des problèmes qui n’existaient pas. »

Des intérêts financiers sont-ils en jeu ? Personne ne le dira ouvertement. Mais les surdiagnostics servent des intérêts dépassant ceux des patients, qui vivent, eux, terrifiés par l’annonce d’un diagnostic où le mot cancer résonne comme une épée de Damoclès. Ils sont « relativement peu enclins aujourd’hui » à s’entendre proposer l’option surveillance d’une grosseur jugée indolente et de bon pronostic à long terme par leur médecin, relèvent aussi bien l’endocrinologue que la présidente de Vivre sans thyroïde. Le traitement à vie par lévothyroxine, hormone de synthèse en comprimés quotidiens, destinée à remplacer celle que ne produira plus la thyroïde fait en revanche les affaires des laboratoires qui la produisent.

thyroide-et-hypophyse

Quelle est la position des autorités sanitaires? Pour l’American Thyroid Association, à laquelle souscrit le professeur Martin Schlumberger, au vu des études successives qui dénoncent surdiagnostic et surtraitement des cancers de la thyroïde jugés à faible risque, la recommandation, émise en 2015 et rappelée cette fin d’été, est claire. Pas de dépistage systématique. Cytoponction uniquement si le nodule dépasse les 10 mm.

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Si celle-ci révèle un microcancer papillaire, pas de surtraitement, mais surveillance active avec chirurgie uniquement en cas de progression. Et si l’on opère, on enlève un seul lobe, pas toute la thyroïde. En France, la Haute Autorité de santé n’a pas mis à jour sa position.

« Il faut mesurer le risque de chaque patient »

Docteur Alain Toledano, oncologue à l’Hôpital américain de Neuilly et au centre Hartmann

Pour le cancérologue Alain Toledano, le surdiagnostic, pointé du doigt pour les cancers de la thyroïde, de la prostate et parfois même du sein, cessera avec l’essor des outils d’évaluatin génomique, c’est-à-dire l’analyse génétique des tumeurs.

En fait-on trop en termes de dépistage du cancer ?

Docteur ALAIN TOLEDANO. Il faut être prudent lorsque l’on parle de surdiagnostic. Le cancer ne tue pas tout le temps mais on ne peut pas professer globalement que tel petit cancer n’est pas méchant et laisser les gens jouer à la roulette russe. Le problème est que cette maladie fait encore trop de morts. Prenez le cancer de la prostate, que l’on dit, comme celui de la thyroïde, d’évolution lente et de bon pronostic, il tue près de 9 000 personnes par an. Après les débats sur le dépistage par dosage de PSA (NDLR : antigène spécifique repéré par analyse sanguine), dont on a dit qu’il conduisait à opérer trop d’hommes au cancer resté indolent, on risque cet effet pervers de voir arriver des patients relativement jeunes avec des cancers avancés.

Comment trouver le juste milieu ?

L’enjeu majeur, c’est de sélectionner. Pour les cancers, il faut pouvoir mesurer, une fois la tumeur diagnostiquée, son agressivité et son risque de rechute. Le risque personnel, pour tel patient, avec sa tumeur aux caractéristiques particulières. Ce qui permet de choisir, avec lui, le traitement le plus adapté. De ce point de vue, nous sommes en plein changement de paradigme.

C’est-à-dire ?

Une vraie médecine personnalisée est en train de se dessiner. On raisonne de moins en moins par type de cancer et en se fondant sur de grandes études épidémiologiques des risques. Nous manquons d’outils, il faut y travailler. Mais grâce à l’analyse génétique des tumeurs, on est en bonne voie pour affiner l’estimation du risque. Par exemple avec les tests remboursés évaluant la pertinence de la chimiothérapie pour certains cancers du sein.