Courir. L’alimentation (chez les coureurs) Tarahumaras

Auteur : N. Tamini  

Source: Magazine Spiridon No12

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Il n’y a pas de Tarahumaras gras

Dans le précédent numéro de SPIRIDON (No11), nous avons  essayé de montrer à quel point l’alimentation est aussi et surtout une affaire personnelle. Et qu’avant de s’en prendre aux habitudes alimentaires de tel coureur à pied, il est bon de considérer son environnement particulier, et son équilibre psychique, parfois fragile. Nous signalions enfin le cas des 819 habitants – dont dix-huit centenaires – de Vilcabamba (Équateur), qui se satisfont d’une alimentation très pauvre en calories. Dans les montagnes de la sierra Madre (Mexique), vit une curieuse population d’Indiens, les Tarahumaras*. Ces Indiens au régime quasiment sous-alimentaire (selon nos critères tout au moins) possèdent pourtant les coureurs de fond les plus endurants que l’on connaisse. Il leur arrive en effet de courir 48 h., voire 72 h. d’affilée, et … derrière une boule de bois qu’i ls projettent en avant ,à coups de pied. Des physiologistes américains qui ont observé les Tarahumaras estiment que pendant leurs courses ils brûlent plus de 10 000 calories. Or, pour un Tarahumara 10 000 calories équivalent à une semaine de nourriture ! Car eux aussi . ne mangent guère plus de la moitié de ce que nos diététiciens recommandent aux athlètes. Par parenthèse, notons que le docteur Creff, médecin à l’Institut national des sports de Paris, citait récemment l’exemple de deux champions, l’un de demi-fond, l’autre de water-polo, chacun à son poids de forme, se satisfaisant le premier de 1500 calories, le second de 11 500 calories par jour! Une étude menée en 1972 parmi les sportifs français de haute compétition, note Guy Porte dans «  Le Monde», a cependant révélé des consommations moyennes de 3050 calories pour les hommes et de 2550 calories pour les femmes.

D’où les Tarahumaras tirent-ils donc leur fantastique énergie ? Certes, ils ont une constitution particulière, développée dans l’air raréfié de leurs montagnes. Il se pourrait bien aussi que leur alimentation … Mais au fait, de quoi se compose cette alimentation ? Disons d’emblée qu’il n’existe pas de Tarahumara gras. Les docteurs Richard Casdorph et William Conner, peut-on lire dans un récent numéro de « Runner’s World » ont étudié cette tribu en 1972. Les Tarahumaras, déclarèrent-ils ensuite, sont essentiellement végétariens, tirant la majeure partie de leur ration calorique du maïs et des fèves. Ils consomment aussi plusieurs légumes et fruits, et notamment des pommes de terre, des courges, des piments et des agrumes. A l’occasion, un œuf enrichit le menu. Et une ou deux fois l’an, à telle festivité, ils mangent de la viande de chèvre. La nourriture des Tarahumaras, constatèrent les médecins, est très riche en glucides et très très pauvre en protides. Ils bénéficient ainsi, tout naturellement, de la fameuse  » charge glucidique .. connue depuis plusieurs années par certains grands marathoniens.

Ils jeûnent avant l’épreuve

C’est l’environnement des Tarahumaras, et lui seul, qui a fait d’eux des végétariens. On apprend aussi avec beaucoup d’intérêt qu’avant d’entreprendre leurs grandes courses ils observent une. sorte de jeûne. Dans le « Natural History Magazine», Michael Jenkinson écrit qu’alors ces Indiens ne consomment ni matières grasses, ni œufs, ni pommes de terre ou douceurs durant les 2-5 jours qui précèdent une compétition de 24 heures. On a essayé de les faire bénéficier (il vaudrait · mieux dire ici : pâtir) d’un régime dit normal. Les Mexicains ont tenté cette expérience en vue d’un entraînement préolympique. Peine perdue et résultats attristants. « Lorsque les Tarahumaras vinrent au camp d’entrainement, raconte Jenkinson, on leur donna à manger du beefsteak, des œufs, du lait et d’autres mets « étranges » . Sous le coup de ce changement, leurs intestins se déréglèrent, tout comme leur métabolisme. Ils ne parvenaient pas à dormir longtemps et lorsqu’ils le pouvaient leur sommeil se peuplait de cauchemars. »

Des décennies de plus en mangeant moins ?

Ces Indiens ne sont pas pour autant un « cas »· Dans d’autres domaines, des savants découvrent – à leur grande surprise souvent – qu’une alimentation légère va de pair avec une grande endurance. Et, mieux encore, avec une· extraordinaire longévité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait récemment état de tests réalisés par le docteur suisse Joshua Cohen. Celui-ci a étudié la longévité de rats, comparant celle de sujets « normalement » nourris à celle de sujets  « sous-alimentés »· Ces derniers vécurent deux fois plus longtemps que leurs congénères. Le docteur Cohen. envisagerait de procéder à des- études analogues avec des cobayes humains: afin de déterminer si le fait de manger peu ralentit les processus de détérioration physique. Il pense en effet qu ‘en restreignant sa consommation de calories l’homme peut ajouter des décennies à sa vie, tout en conservant la force et la vitalité nécessaires pour tirer vraiment parti de ces années supplémentaires. Le docteur Alexander Leaf, professeur à Harvard, est du même avis. Il a visité trois régions isolées du monde : Hunza au Pakistan, Vilcabamba en Équateur et Abkhazia en URSS, où la proportion de centenaires est plus grande qu’ailleurs. Le docteur Leaf note tout d’abord que ces trois groupes de personnes ont plusieurs points communs :

Peu ou pas de viande

1. ils vivent dans les montagnes;

2. ils sont tenus à l’écart des principaux courants de la vie moderne ;

3. ils accordent aux vieillards des conditions enviables et une audience particulière, ce qui leur permet de participer pleinement à la vie communautaire ;

4. leur vie quotidienne nécessite une succession d’efforts d’endurance ;

5. ils mangent peu, et leur alimentation comprend peu ou pas de viande du tout.

Pour les adultes de Hunza, le docteur Leaf a calculé une moyenne de 1900 calories (50 g de protides, 36 g de lipides et 354 g de glucides), la viande et les produits laitiers ne représentant que 1,5 % de la ration de protides.

Une autre étude a montré que les plus vieux habitants de Vilcabamba ne consomment que 1200 calories par jour (35-38 g de protides, 12- 19 g de lipides’ et 200-260 g de glucides). Dans ce cas également, protides et glucides proviennent essentiellement de sources végétales.

Par comparaison, selon une observation portant sur 1500 sujets des troisième et quatrième âges dans un service hospitalier de Marseille, la ration habituelle (et donc de gens sans activité physique) se situerait entre 1200 et 1500 calories par jour (aucun ne dépassant 2000 calories) . * Il peine à suivre un vieillard de 106 ans ! Selon le docteur Leaf, les vieillards des trois communautés observées déploient une très grande activité physique. L’agriculture traditionnelle et les travaux ménagers auxquels ils s’adonnent nécessitent un travail intense et pénible, que les hommes et les femmes accomplissent dès leur enfance et jusqu’à leurs derniers jours. Outre la somme d’efforts inhérents au travail quotidien du paysan, ce travail se déroule en terrain montagneux. La nécessité de franchir des collines au cours des activités de chaque jour suffit à maintenir le système cardiovasculaire en excellent état et d’une manière générale à tonifier les muscles. Et le médecin avoue à quel point il lui fallut lutter pour ne pas se laisser distancer, à 52 ans, par un vieillard de 106 ans, au cours d’une randonnée de 6 heures en montagne. De retour aux États-Unis, le docteur Leaf réduisit immédiatement sa consommation de calories, de lipides et de protides. Et… il se mit à pratiquer la course à pied.

Pas de gri-gri, pas de performence ?

Pour nous, coureurs à pied , l’important c’est sans doute de se persuader qu’à force de manger modérément on risque tout au plus d’améliorer ses performances, de vivre mieux et… à moindres frais. « Moi, si j ‘ai pas mon steak ! »…. nous rétorquera pourtant plus d’un lecteur. Il va sans dire – nous l’avons pourtant dit dans le précédent numéro – qu’il ne faut pas négliger d’emblée le pouvoir sécurisant de tel ou tel aliment. «  Moi si j’ai pas mon embrocations » , nous avouait récemment un excellent coureur de fond, fétichiste sans le savoir. Que dire alors de cet athlète suisse, bon spécialiste de steeple, bien plus agréable à l’œil qu’à l’oreille, qui conserve jalousement sa grosse poupée fétiche !

Pas de gri-gri, pas de performance ? Steak,  embrocation ou poupée, tout cela procède hélas bien davantage d’un attachement fétichiste (et infantile ?) que d’une nécessité organique.

Il appartient au coureur lui-même de se débarrasser d’inutiles, fatigantes et coûteuses – quoique parfois sécurisantes – mauvaises habitudes alimentaires, de procéder peu à peu à sa propre réforme diététique, dictée autant par le bon sens que par certaines connaissances scientifiques.

Et puis, l’habitude ne chasse-t-elle pas l’habitude?

Mais alors que faut-il donc manger? Que faut-il laisser de côté ? où sont et que sont les glucides, les protides et les lipides ? qu ‘entendons par ration calorique ?

La notion de ration calorique n’a qu’une signification relative. Bien que les spécialistes ne soient pas encore tout à fait d’accord à ce sujet, il est désormais admis que la composition qualitative prime sur le nombre des calories. Là encore, l’équilibre optimal – 16% de protides, 28% de lipides, 56% de glucides – est soumis à variations selon les conditions de vie, de travail, et l’environnement climatique.

Pour construire et réparer

Les PROTIDES (ou protéines) sont des substances dont l’hydrolyse fournit des acides aminés. Ce sont des aliments plastiques par excellence, des matériaux qui servent à construire nos masses musculaires. Ils ne sont pas des aliments de force, mais de réparation des tissus. Ils ont pour le coureur à pied une importance particulière au début de l’entraînement et dans les jours qui suivent les rudes compétitions. A la lecture du tableau de la page 8, on remarque que les œufs (51 %), la levure de bière (46,1 %), la viande séchée (34,3 %), le fromage (28,6 %), les germes de blé (25,2 %), le foie de bœuf (19,6 %) ou de poulet (22,1 %), la chair du poulet (20,2 %) ou du poisson (19,2 %), les pâtes (14,3 %), les flocons d’avoine (13 %) fournissent une grande proportion de protides. Un gramme de protides donne 4 calories.

Contre le refroissement

Les lipides sont le nom générique des corps gras. Ces aliments permettent notamment de lutter contre le refroidissement. Ce sont aussi des aliments de réserve et, en cas d’efforts prolongés, ils sont certes une intéressante source d’énergie musculaire mais ils laissent beaucoup de déchets. Selon le tableau de la page 8, il s’agit donc surtout du beurre (81 %), des noix (64,4 %) et autres oléagineux, du salami (36,8 %), du chocolat (33,5 %), du fromage (31 ,3 %), des œufs (32 %), du beefsteak (25 % ), des côtelettes de porc (32 % ), etc. Un gramme de lipides fournit 9 calories.

Les grands pourvoyeurs d’énergie

Les GLUCIDES sont le nom générique des hydrates de carbone, autrefois appelés sucres ou glucoses. Ce sont eux qui procurent la plus grande partie de l’énergie dont nous avons besoin . Et nous avons vu qu’ils forment 75% de l’alimentation des futurs centenaires de .Hunza (Pakistan), qui se contentent toutefois de 1900 calories par jour en moyenne. Les glucides doivent constituer environ 60% de notre ration, et même davantage à l’approche des grandes compétitions de fond. Examinons le tableau de la page 8 et nous constatons que les glucides proviennent surtout du… sucre (96 %), mais aussi des corn-flakes (85,3 %), du miel (79,5 %), du riz (79,3 %), du maïs (76,8 %), des biscottes (76 %), des dattes séchées (75 %), des raisins secs (71 ,2 %), des figues séchées (69,1 %), des flocons d’avoine (67,8 %), des pâtes (70,6 %), du chocolat (54%), du pain (50%), des pommes de terre (19,1 %), des petits pois frais (17 %), et en général de tous les fruits (de 24% pour la banane à 8,4% pour les fraises) . Un gramme de glucides apporte 4 calories. Outre les protides, les lipides et les glucides, il n’est pas question de négliger non plus les éléments de protection et les substances d’utilisation que sont les vitamines, les sels minéraux, les oligo-éléments, la cellulose et l’eau. Nous y reviendrons dans un autre article. Dans l’organisme, toutes les matières nutritives sont brûlées, puis transformées : en éléments constitutifs ou en énergie. On appelle calorie la chaleur dégagée par cette combustion. Plus précisément : une CALORIE est la quantité de chaleur nécessaire pour faire passer de 14,5 à 15,5 degrés centigrades la température de 1 g d’eau. rêve des indispensables notions théoriques, qu’en est-11 en pratique pour nous, coureurs à pied ? Quel régime alimentaire recommander? Nous allons pour cela faire abstraction de ces aliments « gri-gri », que le « fétichiste » intelligent délaissera progressivement, conformément à ses facultés de raisonnement, puis à sa volonté. Nous préférons admettre que le coureur qui nous lit est décidé à se corriger des

défauts qu’ il commet en matière alimentaire. De ceux-là surtout qui lui coûtent de précieuses minutes, de mauvais quarts d’heure en compétition au point de l’inciter ensuite à « tout laisser tomber »· Nous limitant strictement à la période qui précède la (grande) compétition , nous considérerons ultérieurement les périodes d’entraînement et de récupération.

Un régime alimentaire très particulier

Souvenez-vous du marathon d’Athènes, en 1969, et de Ron Hill réussissant peu à peu à rattraper Gaston Roelants, seul en tête durant des kilomètres, et à le battre dans les derniers hectomètres pour le titre de champion d’Europe. On a dit que Ron Hill bénéficiait ce jour-là d’un régime alimentaire spécial, encore inconnu des autres athlètes, et qui lui permit de courir jusqu’au bout sans le moindre fléchissement. Qu’en est-il vraiment ?

LE JOUR DU MARATHON

LE JOUR DU MARATHON. Vous avez dormi 7, 6 ou même 5 heures : c ‘est bien suffisant si vous n’aviez pas de sommeil en retard. – Ce jour-là, mangez peu avant l’épreuve (votre régime des jours précédents vous a d’ailleurs donné une énergie amplement suffisante pour l’effort à fournir). Et surtout : 3-4 heures avant le départ, vous aurez achevé votre repas. Si le temps est chaud, absorbez encore 3-4 verres de thé ou de jus de fruits {pas trop sucrés) jusqu’au plus tard 1 heure avant le départ. Ménagez-vous maintenant 20-30’ d’échauffement solitaire : autant pour vous préparer mentalement à l’épreuve que pour vous replonger dans le climat serein de vos habituelles séances d’entraînement. Ne vous paniquez pas (« qu’ai-je à craindre ? personne n’est mieux préparé que moi … je vendrai donc ma marchandise au meilleur prix, je tirerai le maximum de ma carcasse.. . mais en dosant mon effort. Dès le départ je m’efforce de tenir ma cadence personnelle – et non pas celle des habituels « toutous » ! – et je me ménage des réserves pour les 10-12 derniers kilomètres .. . ») . Un détail important : aux vestiaires – ou mieux : à l’hôtel ou chez vous – recouvrez de Dermaplast (mais non de sparadrap !), ou de fragments de bandes protectrices autocollantes analogues, vos orteils et les autres parties exposées de vos pieds. Vous serez ensuite à l’abri des ampoules et de ces douloureuses blessures sanglantes que chaque foulée aviverait. De même, prenez soin d’enduire d’un produit approprié (le Baume Calcium Sandoz, par exemple) les parties de votre corps sensibles au frottement continuel du tissu, surtout si celui-ci est · imbibé de transpiration : pli de l’aine, près des aisselles, mamelons. Lacez correctement vos chaussures – ni ·trop ni trop peu – et fixez solidement votre. dossard au moyen d’agrafes (et repliez-le s’il est trop vaste). Emportez un peu de papier hygiénique (on ne sait jamais … ) et attendez sereinement le coup de pistolet du starter (pas de bavardages… aussi énervants qu’inutiles !) En course, vous vous abstiendrez de boire ou de manger (puisque votre régime spécial vous a donné des ressources énergétiques extraordinaires !). Sinon, sans d’ailleurs étancher votre soif – au contraire – vous solliciteriez inutilement votre estomac. Et maintenant… allez ! Mais souvenez-vous-en dès le départ : vous avez au programme 30 km de prologue … et 12 km de monologue. N. Tamini

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